Quand j’étais petite, il avait un trésor caché dans le troisième tiroir de la cuisine. En bas des torchons, un petit cahier rouge entièrement tapé à la machine à écrire gardait les secrets des préparations les plus gourmandes que je pouvais rêver. Des mignardises salées qu’on amenait à l’école pour le goûter, des biscuits à la fécule de manioc si traditionnels de mon terroir, des pains et des gâteaux pour toute occasion… la source de ces gourmandises était ce petit cahier rouge. C’est le cahier de ma mère qui un jour a décidé d’écrire leurs recettes quotidiennes, celles qu’elle faisait sans balance, n’ayant que des tasses et des cuillères comme mesure, plus son savoir-faire capable d’identifier le point de la pâte où comment rectifier un appareil juste en voyant la texture. Cette semaine je lui ai demandé de m’envoyer une photo de sa recette d’un biscuit que j’adore et c’était marqué: du lait de plus ou moins 5 noix de coco, jusqu’à l’obtention de la bonne texture. Et je me suis dit: mais c’est quoi la bonne texture??? Alors, j’ai tiré deux conclusions de cet exercice.

D’abord, pour moi mainha est une sorcière car elle réalise des pâtisseries et des gâteaux « à l’oeil » et à sa façon. Et c’est toujours bon! Je l’admirais pour ça quand j’étais enfant et je l’admire toujours aujourd’hui. Ensuite, oui, le cahier rouge est la source, mais mainha est la clé pour le décodifier. Ce sont leurs formules magiques, c’est sa cuisine à elle, ses mains dans la pâte, ses gestes, sa volonté de faire à manger et à bien manger. Ainsi, ce cahier n’est pas un registre de recettes au sens strict. Il est un témoin d’amour, d’intentions, de travail et de souvenirs. Et ça fait réfléchir, chères copinautes, sur qu’est-ce que sont nos blogs de cuisine sinon des cahiers rouges virtuels, où on enregistre notre amour pour la cuisine et pour ceux qui partageaient notre table ? Je me demande combient de ma mère, au-delà de l’évident, est en moi et dans mes choix sans que je me rende compte ? Aimer cuisiner, aimer en cuisinant, c’est un truc que j’ai hérité de Dona Fátima et j’aime penser que le même se reproduira avec les enfants de Charlotte.

Je me suis lancé à exploiter son blog et une chose était claire dès le premier regard : elle cuisine pour nourrir ses enfants. Nourrir leurs corps, mais aussi leurs esprits. Elle enregistre les réactions des petits à la dégustation, elle les invite à participer de l’activité et à cuisiner ensemble, elle est créative pour les captiver. Une crème de maïs qu’elle présente comme pop’soupe de maïs avec des popcorns c’est d’une astuce et d’une attention émouvantes. C’est le genre de repas d’enfance qui reste dans le mémoire pour la vie. Ayant la mission de trouver une recette de la débrouille pour cet hommage j’ai trouvé les brigadeiros de Charlotte, des bonbons chocolatés qui font partie de la vie de chaque Brésilien. C’est la sucrerie-phare de nos enfances, roulées en petites boules et enrobées de vermicelles au chocolat. Adultes, sa version en casserole (on cuit un peu moins pour qu’il reste crémeux et on mange à la cuillère) est synonyme de réconfort et pas sans raison. Il transporte nos émotions à une époque plus simple, où la joie et l’amour étaient la règle, où les problèmes et douleurs disparaissaient quand nos mères nous accueillaient dans un câlin chaud et sûr.

Ainsi, j’ai préparé pour moi et M. Chaud Patate les brigadeiros de Charlotte, enrobés aux cacahuètes torréfiées et concassées, dont la recette vous trouverez en cliquant sur la photo que j’ai piochée de son blog. C’est la version de son foyer, celle qu’elle a présentée à ses petits gourmands, et que je n’ai pas voulu changer. Il existe une pluralité de versions avec cacao 100%, 50%, une touche de crème fraîche, avec chocolat pâtissier au lieu du cacao, enrobages diverses, farcies, en robe de fête. Les brigadeiros de Charlotte associent le cacao et la cacahuète, une formule irrésistible et au même temps plus saine que l’originelle, en sachant que manger des sucres avec des oléagineux aide nos corps à ne pas exploser l’indice glycémique.

Comme le cahier de ma mère qui ne donne pas les mesures exactes ni détaille les procédures, la vie des enfants de Charlotte suivra aussi avec des lacunes. Elle est partie trop tôt et son absence sera toujours ressentie. Mais sa présence aussi sera ressentie dans certains gestes qu’ils reproduiront sans même se rendre compte qu’il s’agisse des manifestations de leur mère qui intègrent leurs personnalités. Et au long du parcours, quand ils auraient besoin du réconfort d’un brigadeiro (en culture française il serait peut-être leur madeleine de Proust?), ils pourront revenir sur ce cahier rouge virtuel, ce reliquaire qui est Les Recettes de la Débrouille et peut-être trouver du réconfort en cuisinant les plats qu’un jour Charlotte n’a créé que pour eux.

Je vous propose cette recette, ou plutôt ce texte, pour participer à la 94^ème ronde de Recettes Autour d’un Ingrédient, le jeu culinaire créé par Samar (Mes Inspirations Culinaires) et Soulef (Amour de Cuisine), dans une édition spéciale dédiée à rendre hommage à un membre de notre communauté dont le décès nous a profondément touché. Soulef explique : « Vers la fin du mois de novembre, nous avions perdu une amie, une personne adorable, une blogueuse qui participait souvent aux différents défis et jeux culinaires. Je parle de notre amie, la défunte Charlotte du blog Les recettes de la débrouille. ♥ Nous nous côtoyons dans le monde de la blogosphère depuis plusieurs années, nous nous considérons comme une grande famille via nos échanges de commentaires mais aussi de recettes. Nous pensons que c’est le moindre que nous puissions faire pour lui rendre hommage. »

C’est ainsi que chacune de nous a pioché une recette de Charlotte, ces recettes qu’elle préparait pour les siens et qui nous mettons aujourd’hui à nos tables pour partager avec les nôtres, ayant une pensée tendre à notre chère copinaute. Merci, Charlotte, d’avoir cuisiné à nos côtés.

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